Sus aux pseudo-spécialistes belges de l’Afrique et du Mali !


spécialistesL’une des curiosités de la société belge, et plus spécialement de son intelligentsia, est son rapport à l’Afrique. Tout le temps, l’Afrique pour cette intelligentsia, se résume et se réduit à l’Afrique des « Grands Lacs » comme ils l’appellent. En fait, il ne s’agit pas des Grands lacs en tant que tel, mais plutôt de la République Démocratique du Congo, du Rwanda, et du Burundi. Et quels spécialistes pour ces trois pays ! Des spécialistes qui livrent de ces trois pays une vision assez belge, chargée des préjugés et des stéréotypes issus de l’histoire coloniale qu’on connaît.

Prenons par exemple le paysage médiatique : il n’existe sur les grandes chaînes aucune grande émission qui décortique de manière assez profonde l’actualité des pays africains en dehors des périodes de grandes crises. Et il faut justement attendre ces grandes crises comme les guerres en Côte-d’Ivoire et au Mali pour improviser des émissions où interviennent ces pseudo-spécialistes qui, la plupart du temps, ne parlent que de la République Démocratique du Congo. On leur demanderait de parler un peu du Congo voisin, ils seraient largués. Certaines chaînes qui n’avaient des correspondants qu’en Afrique centrale, se précipitent alors pour en avoir en Côte-d’Ivoire ou au Mali. J’entends déjà certains crier : « il y a Afrik’hebdo sur la RTBF radio ! » Franchement, une émission radio hebdomadaire sur l’Afrique, que dis-je, sur les Grands Lacs la majorité du temps, est-ce vraiment suffisant pour un tel continent ? Et c’est dans ce contexte d’improvisation empreinte d’amateurisme profond qu’on se rend compte de la profonde méconnaissance, voire de l’ignorance de cette intelligentsia concernant les réalités africaines. À longueur de journée, on ne fait qu’entendre des inepties, des inexactitudes, des mensonges des pseudo-spécialistes et des questions hors de propos des journalistes.

Sur le Mali, on a vu surgir de nulle part des « Malilogues » qu’on n’avait jamais entendu sur le Mali avant l’intervention française et qui, soudain, reçoivent une révélation presque divine, leur conférant des connaissances pointues sur le pays du grand Président Modibo Keïta. Il en fut de même pour la Côte-d’Ivoire il y a deux ans de cela.

Toutefois, il faudrait distinguer ces pseudo-spécialistes car ils n’ont pas tous le même profil.

 

Les alliés des politiques mafieuses

La première catégorie est celle des journalistes qui s’accommodent et profitent des pratiques mafieuses en cours des deux côtés de l’atlantique. Les chefs d’État africains, souvent dictateurs et leurs alliés occidentaux ont leurs relais dans la presse européenne en général, et belge en particulier. Les dictateurs n’hésitent pas à sortir le chéquier pour payer des articles ou des reportages montrant une image plutôt positive de leur action. On le sait, et c’est un secret de polichinelle pour ceux qui suivent de près ces affaires. Des dictateurs comme Omar Bongo, Sassou Nguesso, Paul Biya, Mobutu et autres, sont ou étaient connus pour payer grassement des articles ou des reportages réalisés sur commande. Ces journalistes, dès que ces crises éclatent, sont en première ligne, afin de pouvoir en engranger quelques bénéfices sonnants et trébuchants.

Et il y a aussi dans le même genre, les pseudo-spécialistes de ces crises qui eux, n’y vont pas demain morte. Ils prennent des positions en fonction des avantages financiers ou en nature qu’ils peuvent tirer auprès de tel ou tel régime en prenant position en sa faveur. Toutes ces personnes forment un réseau permanent jouant dans le même camp.

Les ignorants qui veulent se faire remarquer

Lorsqu’on parle d’évènements sérieux où on évoque des milliers de morts, l’approximation n’est pas acceptable. C’est pourtant ce que l’on voit chez certains invités sur des grandes chaînes. Ces invités loin de connaître parfaitement leur sujet, sont invités juste parce qu’ils sont par exemple professeurs d’histoire, d’anthropologie ou de sciences politiques, et qu’ils abordent des « aspects » touchant l’Afrique. Ou alors, on fait venir un acteur associatif obscur, originaire du pays où le drame se passe et qui s’est très peu intéressé à l’actualité politique. Parfois, ces personnes vivent depuis des années en Belgique, ne sont plus retournées depuis longtemps au pays, et ne suivent plus l’actualité, absorbées qu’elles sont par le moyen de gagner de l’argent.

Ces personnes acceptent ces invitations car elles y voient le moyen de se faire voir à la télévision, de se faire entendre à la radio, et de de se faire ainsi un peu de publicité.

Il faut le dire de façon claire : ce traitement de l’actualité africaine est indigne de la Belgique et elle est irrespectueuse des Africains !

En face, il y a du répondant, mais aux moyens limités malheureusement

Face à ce traitement indigne, depuis plus de trente ans maintenant, trois générations de citoyens d’origine africaine se sont mobilisés pour avoir dans la mesure du possible une actualité africaine de qualité. Malheureusement, dans ce combat, ces trois générations ne sont incarnés que par un nombre réduit de personnes qui toutes, ont travaillé ou travaillent pour l’émission « Sous l’Arbre À Palabre » sur Radio Campus Bruxelles tous les dimanches après-midis. Une émission qui tente d’être au plus près de l’actualité des pays africains tout le temps, et pas seulement lorsqu’une grande crise éclate. Elle manque malheureusement de moyens, mais fait tout pour creuser là où les grandes chaînes creusent rarement. Elle est tenue à bout de bras par des bénévoles passionnés depuis 1982 ! C’est l’une des plus anciennes émissions du Paysage Audiovisuel Belge.

Et sur le Mali, comme beaucoup d’inepties ont été dites sans qu’aucun grand débat public n’ait eu lieu, Sous l’Arbre À Palabre organise avec le Mouvement pour la Renaissance Africaine (Moraf) un débat public avec des invités qui eux, ne se proclament pas spécialistes de la question malienne, mais la suivent maintenant depuis plusieurs années, et sont à même de débattre avec des arguments justes.

Voici ci-dessous l’invitation :

Sous l’Arbre A Palabre, SAP Production et le Mouvement pour la Renaissance Africaine (MORAF) ont le plaisir de vous convier à une rencontre-débat : Guerre de la France au Mali : Enjeux et Conséquences pour le Mali et toute la région du Sahel. A l’Horloge du sud, samedi 23 février à 18h.

Avec Fatoumata SIDIBE, député Bruxelloise; Madi SISSOKO, Secrétaire Général du Conseil des Maliens de Belgique; Olivier DOSSOU FADO, Vice-président du Mouvement pour la Renaissance Africaine (MORAF); Louise NGANDU, politologue; Kalvin Soiresse NJALL, journaliste à Radio Campus/Sous l’Arbre à Palabre, modérateur.
Avec le soutien de L’horloge du Sud, du MORAF et de SAP Productions.
Contacts : Yves K. LODONOU, 0474 378 376 ou arbrapalabre@yahoo.com

Horloge du sud : 141, rue du Trône, 1050 Bruxelles

PAF : 2 euros

http://www.arbrapalabre.be

 

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La France reconnaît enfin la perversité du système colonial en Algérie. Quid de la Belgique ?


François Hollande lors de son discours face aux parlementaires algériens

François Hollande lors de son discours face aux parlementaires algériens

« Repentance »… le mot qui donne de l’urticaire aux défenseurs de l’honneur de « la civilisation blanche » et qui trouble leur sommeil. Hier, j’ai suivi avec intérêt le déplacement de François Hollande en Algérie. J’ai suivi avec le même intérêt les préparatifs de ce voyage, notamment la préparation médiatique qui s’est faite sur le discours mémoriel qu’allait tenir le président français vis-à-vis des Algériens.

D’emblée, dès le début de la semaine, le ton a été donné : François Hollande comme Nicolas Sarkozy en son temps n’apporterait pas aux Algériens et aux Africains une quelconque repentance ou un hypothétique pardon. Par contre, contrairement à celui qui considérait que « l’homme africain n’est pas suffisamment entré dans l’histoire », il leur apportait dans sa besace la reconnaissance de la perversité du système colonial, les crimes de ce système, la vérité et la transparence sur cette période. Pas d’excuses, mais une reconnaissance et une transparence : venant de la France si fière d’elle-même et de son passé colonial, il faut admettre que le pas en avant est significatif.

Il faut dire que le courant bonapartiste était monté au créneau pour prévenir le président de la république. Pas d’excuses ! Dans l’intelligentsia française, Napoléon, l’empereur va-t-en-guerre qui rétablit l’esclavage pour la gloire de la France après que celui-ci fut aboli à Saint-Domingue a beaucoup d’admirateurs et de défenseurs. Ces bonapartistes qui se réclament souvent de De Gaulle et qui, tels des morts de faim, sautent pour protéger en toute occasion cette France expansionniste dont la spécialité fut de fouler aux pieds les principes de sa propre révolution quand il s’agissait de peuples autres que le peuple français. Alors, François Hollande qui, secrétaire général du Parti Socialiste, exprima dans un livre la nécessité d’excuses vis-à-vis de l’Algérie, modéra son propos. « Rien ne se construit dans la dissimulation, dans l’oubli, encore moins dans le déni. Pendant 132 ans, l’Agérie a été soumise a un système profondément injuste et brutal. Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien », a lancé le président devant les parlementaires algériens. Et c’est le fils d’un ancien partisan de l’Algérie française et de l’OAS, organisation d’extrême-droite qui était favorable à la continuation de la colonisation qui parle. Quelle ironie de l’histoire ! Quels que soient les commentaires, désormais, un pas significatif a été franchi.

En regardant toute cette agitation, pensif, je me posai la question sur mon pays, la Belgique, celle qui se gausse de son caractère de pionnier en matière de loi de compétence universelle. Celle qui est citée en exemple pour être toujours en avance en matière de réformes sociétales. Cette Belgique si ouverte est pourtant ringarde sur le plan de son travail mémoriel vis-à-vis du système colonial qu’elle a bâti au Congo, au Rwanda et au Burundi. Cette Belgique – surtout la partie francophone du pays – si prompte à s’aligner sur les positions françaises visant à éluder le passé colonial a un problème avec elle-même. Elle n’arrive pas à se regarder dans le miroir face aux évènements dont elle a été porteur pendant près d’un siècle : les mains coupées, les travaux forcés, la ségrégation raciale, les massacres, les meurtres, la destruction de cultures et d’arts séculaires, parfois même millénaires, les assassinats politiques, la différenciation entre Hutu et Tutsi qui engendra la haine qu’on connaît,  j’en passe et des meilleures.

Dans la société belge, mais aussi dans sa classe politique, des léopoldiens existent. A droite, au centre comme à gauche, ils refusent que l’Etat belge reconnaisse les torts causés par ce système inhumain. Ces grands « démocrates et humanistes » qui n’ont que les principes universels des droits de l’homme à la bouche, du haut de leur complexe de supériorité, héritage de la propagande coloniale, ont du mal à encaisser le fait que le grand projet colonial de Léopold II soit critiqué officiellement par son propre pays.

Cependant, toutes ces personnes dans lesquelles la propagande coloniale a instillé ce complexe de supériorité morbide,  n’ont toujours pas compris qu’ils ne vivent plus dans la même Belgique que celle de l’époque coloniale où cette dernière était presque entièrement blanche. La Belgique est désormais diverse et pas n’importe comment. L’apport de l’Afrique à sa diversité démographique n’est plus celles des générations de nos grands parents et de nos parents qui fermaient leurs gueules pour ne pas se faire remarquer. Sa nouvelle diversité est faite des petits-fils et arrières petits-fils de ceux qui étaient corvéables à merci pendant la colonisation, de ceux qui furent mutilés et dont les souffrances révoltent leurs descendants plus encore que les concernés eux-mêmes. Ils n’ont pas compris que désormais, ces descendants sont Belges, et mettent les actes du passé belge en Afrique à l’épreuve des principes humains qu’elle dit défendre continuellement. Cette jeunesse aux racines belges et africaines veut jouir de sa citoyenneté pleine et entière en Belgique. Et dans le mot « citoyenneté », elle met aussi la reconnaissance d’une histoire partagée, douloureuse pour elle, et dont la catharsis ne peut être faite qu’en posant un acte à la hauteur de celui que François Hollande a posé hier à Alger.

La Belgique osera-t-elle enfin assumer ses responsabilités face à l’histoire ? Rien n’est moins sûr…

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Voulez-vous comprendre les méandres de la politique africaine ? Lisez « Mathématiques Congolaises » de In Koli Jean Bofane !


Maths_CongoLes voies de la politique africaine en général et de la politique congolaise en particulier sont tellement complexes et ténébreuses qu’il faudrait plus qu’une explication de texte basée sur un langage simple pour pouvoir les faire comprendre. Le romancier de talent In Koli Jean Bofane, a su trouver grâce son inspiration, l’instrument pour nous faire parcourir les chemins filandreux de la politique congolaise : les mathématiques ! Bon sang, se dit-on, pourquoi ne pas y avoir pensé avant ?

 Le héros de cette intrigue prodigieusement délicieuse pour celui qui s’intéresse aux arcanes des pouvoirs africains, Célio Matémona alias Célio Mathématik, ne jure que par les mathématiques pour pouvoir réussir dans la vie. Dans un Kinshasa dépeint en pleine transition politique, où les coups politiques tordus sont légion et où le cynisme politique fait loi, Célio Mathématik, pauvre orphelin de guerre issu des quartiers miséreux est certain de son fait : il parviendra dans les hautes sphères de son pays, et sera lui aussi un boss drapé dans les costumes quatre pièces signés des plus grands couturiers italiens. Et pour y arriver, un seul instrument : l’Abrégé de Mathématiques datant de 1967 et publié par un certain Kabeya Mutombo.

 Célio Matemona alias Celio Mathematik grâce à sa tchatche incomparable, et à sa vivacité d’esprit, finit par se faire remarquer et engager par une officine obscure de la présidence de la république expérimentée en manipulation politique. Grâce à ce travail, la vie de Célio change complètement. Hormis l’aisance matérielle, il obtient enfin la reconnaissance de son intelligence cartésienne. Il devient un grand expert en manipulation politique. Des idées pour manipuler l’opinion ? Il en fournit en foison tant qu’il reste détaché et que les manipulations ne le touchent pas personnellement. Peut-il vraiment quel que soit son intelligence intégrer les cercles politiques occultes et en ressortir indemne ?

 C’est ce que ce qui liront cette oeuvre pourront découvrir.

 Pour illustrer le propos, voici quelques passages qui évoquent la mise en place d’un plan visant à redorer l’image du président et à calmer la population qui commence à exprimer son mécontentement. L’imagination de Célio Mathématik se met rapidement en marche pour trouver une solution à son patron. Voici ce qu’il propose :

 – Page 109 : « il faudrait, dit-t-il, générer à partir d’une information anodine une espèce de lame de fond qui puisse entraîner la population vers une seule et même direction. Pour démultiplier une action, L’Abrégé de Mathématiques de Kabeya conseille ouvertement la fonction exponentielle. » « Il faudrait ajoute-t-il, une sorte de fonction qui démultiplierait une action simple, à l’infini et peut-être, produirait une réaction en chaîne. L’exemple le plus courant, je dirais, de la réaction en chaîne, c’est la production de l’énergie nucléaire patron.

 – Plus loin, page 111, quand son patron lui demande de préciser son propos, il poursuit en termes clairs : « Voilà. Tout le monde à Kinshasa sait que quelques partis, soi-disant de l’opposition, sont en réalité financés par le président lui-même. Qui sont-ils ? Personne jusqu’à présent n’a pu les identifier formellement. Une certaine rumeur dit aussi que leurs patrons se rendent à des rendez-vous aussi secrets que nocturnes pour recevoir leurs dollars et leurs instructions de la présidence. Mais voilà, malgré quelques vagues soupçons, personne n’a jamais pu prouver quoi que ce soit à ce sujet. Nous pourrions, par exemple, divulguer des noms. Le peuple de Kinshasa est sensible aux histoires croustillantes. À nous de lui fournir la matière première.

 Le résultat de cette machination politique se retrouve aux pages 141 à 143. Des messages sous forme de questions calomnieuses passèrent à la télévision nationale juste avant le journal de 20h pour instiller dans la tête des Congolais que, le président voulait en finir avec les opposants corrompus en les dénonçant de lui-même. On pouvait donc lire ces phrases :

 – « Monsieur Faustin Bolowa, où étiez vous le 16 décembre dernier à 23 heures ? »

– « Monsieur Okito Omba, où étiez-vous le 12 avril dernier à 1 heure ?

– « Monsieur Mwamba Shambuyi, où étiez-vous le 18 mai dernier à 0h 30 ? »

– etc.

 Voilà une petite mise en bouche pour ceux qui iront acheter ce livre succulent.

Mathématiques congolaisesde In Koli Jean Bofane, publié en 2008 chez Actes Sud.

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De l’impérieuse nécessité pour notre génération de s’inspirer du panafricanisme de Sankara et Moumié


Félix Roland Moumié, mort assassiné, président de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) il y a bientôt 32 ans, le 3 novembre 1960, empoisonné au thallium par William Bechtel, agent des services secrets français.

Thomas Isidore Noel Sankara, président du Burkina-Faso, mort assassiné il y a bientôt 25 ans, le 15 octobre 1987, mitraillé en plein conseil des ministres, trahi par son meilleur ami, Blaise Compaoré, au pouvoir depuis cette funeste date avec le concours et la bénédiction de la France d’un certain François Mitterrand.

 

Félix Moumié était médecin, homme politique camerounais, exilé après l’assassinat de son compagnon de lutte, Ruben Um Nyobé, secrétaire Général UPC. Président en exil de ce parti qui, luttait encore les armes à la main, contre la fausse indépendance octroyée par la France au Kamerun et contre les serviteurs que la France a mis au pouvoir pour servir ses intérêts. Il était de la génération des pères de l’indépendance. Il avait sur le continent des alliés progressistes qui, partageaient avec lui l’idéal du destin africain, réalisé par les Africains eux-mêmes. Il n’a jamais eu accès au pouvoir pour réaliser cet idéal.

 

Thomas Sankara était militaire, capitaine par son grade, issu d’une génération qui connut la fin de la décolonisation, qui fut étouffée par les dictatures naissantes, et dans l’esprit de laquelle les forces impérialistes et réactionnaires voulurent tuer l’idée du panafricanisme révolutionnaire. Pas le faux panafricanisme servile de l’ancien dictateur ivoirien, vassal de la France, Félix Houphouët Boigny ; mais le panafricanisme des Africains, par les Africains, pour la libération du continent et de son développement. Contrairement à Moumié, il eut l’opportunité d’accéder au pouvoir et d’appliquer tout ce que l’idéal panafricain, progressiste et révolutionnaire pouvait apporter à un pays enclavé et au sous-sol pauvre comme le Burkina-Faso : l’autosuffisance alimentaire, les usines de transformation des produits locaux qui faisaient la fierté des Burkinabé, les infrastructures, l’émancipation sociale de la femme, l’élimination de traditions rétrogrades et nuisibles telles que que l’excision ou le mariage forcé, l’enrayement des maladies comme le choléra etc…

 

Paradoxalement, dans leurs générations respectives, Moumié et Sankara avaient été repérés par l’administration coloniale pour leur intelligence vive. Envoyés dans des structures coloniales qui, formaient des Africains acculturés, politiquement soumis au colon, ils étaient destinés à devenir des oppresseurs de leurs propres peuples. Contrairement aux Senghor et autres, Moumié et Sankara utilisèrent ces structures comme des leviers de construction de leurs consciences panafricaines. Moumié lors de ses études de médecine à l’école professionnelle William Ponty de Dakar où on le remarqua par son engagement fougueux dans la contestation estudiantine pour préserver les droits des étudiants, pas camerounais uniquement, mais de toute l’Afrique.

Thomas Sankara lors de sa formation d’officier à l’Académie militaire d’Antsirabé à Madagascar assiste à une révolution où l’armée joue un rôle déterminant. Resté sur la grande île une année supplémentaire pour y effectuer son service civique, il se rend compte lors de ses séjours à la campagne où l’armée assume des tâches d’éducation et d’animation, qu’un soldat peut servir à autre chose qu’à assassiner et maintenir ses concitoyens sous le joug colonial.

 

Ces deux hommes montrèrent par ces exemples qu’on pouvait aller à « l’école du Blanc » sans pour autant tomber dans l’asservissement idéologique comme le sont encore certains aujourd’hui. Leur clairvoyance leur permirent de prendre du recul et d’utiliser ces écoles pour la construction de leurs propres consciences, au grand dam du colon impérialiste. Pour ces deux hommes, le panafricanisme n’était pas un vain mot, contrairement à certains d’entre nous qui, le crient à tue-tête, mais qui, le moment venu de le traduire en actes, se replient sur leur « congolité », » ivoirité », « togolité », « angolité », « marocanité » … et autres micronationalismes nuisibles et haineux, vides de toute efficacité politique, économique et sociale.

Moumié sillonna le continent entier, des Algériens du FLN aux Sud-Africains de l’ANC, en passant par l’Egypte de Nasser, le Ghana de Nkrumah, la Guinée de Sékou Touré, sans oublier les lumumbistes du Congo. Peu de gens le savent d’ailleurs, mais il fut ministre sans portefeuille dans le gouvernement Patrice Lumumba.

Sankara était quant à lui cerné par des traîtres, hostiles au vrai panafricanisme, différent du panafricanisme vicieux que nous impose l’Europe au moyen d’organisations régionales fantoches comme la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest) ou la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire des Etats d’Afrique Centrale). Son seul allié était le président ghanéen, John Jerry Rawlings, qui, fit du Ghana, le pays qu’il est devenu aujourd’hui, cité en exemple. Malgré ces difficultés, Sankara développa des visions politiques panafricaines dont la résonance est aujourd’hui encore profonde : la solidarité africaine autour du non payement de la dette injuste, le marché africain, la souveraineté alimentaire africaine, l’union politique africaine, etc.

 

Nous, nouvelles générations, devons nous inspirer de leurs exemples et de leurs idées. Mais pour parvenir à une conscience politique similaire à leur, il faudrait nous former à une vision panafricaine des sociétés africaines et de leurs diasporas. Le panafricanisme, ce n’est pas seulement l’idée d’une unité politique. C’est aussi une idéologie basée sur des pratiques politiques, économiques, sociales et culturelles, et une vision de l’Afrique bien précises.

Rendez-vous donc ce samedi 13 octobre à 14 heures précises au 52, rue des Alliés, à 1190 Bruxelles pour une animation exceptionnelle sur le panafricanisme autour de ces deux figures légendaires.

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« Matonge va-t-il disparaître ? » Une tribune pertinente de Ken Ndiaye sur le quartier « africain » de Bruxelles


Certains l’appellent encore le quartier « africain » de Bruxelles ; mais Matongé est-il encore vraiment africain ? Contrairement aux idées reçues, très peu de personnes d’origine africaine y vivent encore, chassées par l’envolée des loyers. Le quartier Matongé a pris d’autres couleurs, il a acquis un luxe les populations paupérisées ne peuvent pas se payer. Il est désormais le quartier des bobos nantis et des Français qui – pour le clin d’oeil – n’ont aucune obligation d’intégration. Matongé fait face aujourd’hui à plusieurs défis et est à la croisée des chemins. C’est son existence même dans son essence chaleureuse actuelle qui est en danger. Ken Ndiaye, militant de référence dans l’associatif est l’un des rares candidats aux communales à ouvrir les yeux sur le fond du problème, et qui, ne se campe pas uniquement sur la forme, comme le font certains qui n’ont que des slogans à la bouche. C’est pourquoi je publie ci-dessous sa tribune.

Candidat aux communales sur la liste Ecolo, Ken Ndiaye, socio-anthropologue et militant associatif de longue date tire la sonnette d’alarme sur le risque de disparition que court Matongé le quartier « africain » de Bruxelles. Une tribune pertinente.

 

« Matonge va-t-il disparaître ?

La question est de plus en plus débattue.

Parmi les facteurs explicatifs de la renommée, du dynamisme et de la richesse de notre commune Ixelles, figure, jusqu’ici, sa mixité sociale et culturelle.

Au cœur d’Ixelles, Matonge constitue un véritable poumon économique et le lieu de la rencontre sociale par excellence, impliquant bien au-delà des Subsahariens.

Le rôle historique qu’y a joué la communauté originaire d’Afrique subsaharienne, du Congo notamment, fait partie intégrante, à la fois de la mémoire collective des Belges mais aussi de l’Afrique entière. « Indépendance cha-cha », devenu l’hymne des indépendances, y a été composé.

Les enquêtes d’opinion en ont régulièrement donné l’image du quartier le plus chaleureux ; mais aussi, socialement et culturellement, le moins ghettoïsé de Bruxelles.

Malheureusement, ce modèle de cohabitation harmonieuse où, pratiquement 150 nationalités différentes  ont cohabité sans heurts particuliers, est de nos jours menacé.

Spéculation immobilière, « gentrification », petite délinquance et incivilités, évolutions sociologiques insuffisamment accompagnées et difficultés économiques pour les commerces, notamment, inquiètent une frange grandissante de la population.

La fracture économique repousse progressivement les populations vers les communes périphériques.

Qu’il soit d’habitation, de passage ou de consommation, nous n’avons pas le droit de nous désintéresser de son sort. Ou d’en laisser donner cette image de plus en plus dégradée.

Il faut ardemment le préserver afin qu’il demeure ce magnifique lieu de vie et d’échanges qu’il a toujours été.

J’aime Ixelles, j’aime Matonge. J’y vis et j’y entreprends avec un enthousiasme sans cesse renouvelé.  Ce quartier mérite les moyens de sa survie !

Il occupera une place de choix parmi mes priorités d’action, si je suis élu. »

Ken NDIAYE,

Socioanthropologue, artiste et militant associatif

N° 41 Liste Ecolo

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